Lames nordiques
Par Gaétan Fontaine, GéoPleinAir
En cette belle journée de février, le thermomètre indique un confortable -10°C à L'Estérel, dans les Laurentides, et le facteur éolien est négligeable. C'est l'occasion rêvée de conjuguer les bonheurs de la glisse en patins à longues lames (nordic skating) et ceux du ski de fond. Nous débutons la journée sur le lac Masson avec des patins équipés de longues lames, performantes comme des Formule 1.
''Le personnage qui supervise notre initiation en est tout un: Jamie Hess, un grand gaillard venu tout droit du Vermont. Il ouvre la bouche et un miracle se produit: il parle français! Ce francophile a trimbalé avec lui ses fameuses lames adaptables aux bottes de skis de fond. La lame est longue (environ 40 cm), mince (pas plus de 2 mm) et est fixée à une étroite latte métallique sur laquelle est montée une fixation de ski de fond (de type pas de patin). Ainsi, nous n'avons qu'à chausser nos bottes de ski de fond (elles sont plus chaudes, et en plus elles absorbent mieux les chocs que les patins traditionnels) pour aller patiner et revêtir nos vêtements de ski de fond. De plus, les lames sont facilement transportables dans un sac à dos.
Même si c'est une première pour bien du monde, personne n'éprouve de grande difficulté à patiner avec les longues lames. Après une demi-heure, nous voilà promus. Notre petit peloton ne passe pas inaperçu sur la longue patinoire du lac Masson. Nos patins intriguent les autres patineurs.
Entre deux coups de lame, je remonte à la hauteur de Jamie, ébloui par l'affluence sur la longue patinoire. «La semaine dernière, j'ai patiné sur le lac Champlain. C'était féerique. La vue panoramique sur les Green Mountains était sensationnelle. Ce bonheur, je cherche à le partager avec le plus grand nombre de gens en m'impliquant personnellement dans le développement de cette activité à portée de tous mais malheureusement peu pratiquée en Amérique du Nord.»
En effet, le patin à longue lame demeure un instrument passablement exotique sur les patinoires québécoises, où le patin de hockey règne en maître. Pourtant, celui-ci est davantage conçu pour pivoter et reculer avec facilité que pour performer dans la glisse. Selon Jamie Hess, la grande différence entre les deux types de patins est avant tout une question de sensation: «Le feeling et la technique des lames nordiques sont complètement différents. C'est comme un autre sport. Au hockey, les mouvements sont courts et brusques; avec des patins à longues lames, il faut travailler la fluidité du mouvement. Il faut apprendre à allonger le pas. La position plus courbée favorise l'aérodynamisme, un facteur important lorsqu'on patine sur des terrains venteux», explique l'expert.
Jamie est un homme peu banal. Dans sa jeunesse, au Connecticut, sa bande de copains et lui patinent sans relâche des hivers durant sur les différents lacs et étangs de son coin de pays, où la neige est rare mais où les plans d'eau gelée ne manquent pas. Après ses études universitaires, il s'installe à Boston, où sa passion le mène sur les rivières Concord et Sudbury. En 1999, c'est un coup de foudre confirmé en Suède, où le patin est un sport national. Il participe à un marathon de 80 km en patin! «C'était fabuleux. Nous étions 4000 patineurs rassemblés pour cet événement populaire. Quelle ambiance mémorable! À Stockholm, vous prenez le métro avec vos patins et vous rendez à la station du lac Malaren, où vous pouvez patiner sur une distance de plus de 100 km sur le lac gelé», raconte-t-il avec émotion.
Son expérience le bouleverse tant que, de retour dans son pays natal, il quitte son emploi d'informaticien pour se consacrer à plein temps à sa passion. Il s'installe donc au Vermont et s'implique dans l'organisation de marathons en patins. Il monte même un site Internet. La recherche de nouveaux plans d'eau gelée l'amène de notre côté de la frontière. Au Québec, il découvre plusieurs belles patinoires et de beaux lacs. Sa connaissance du français, appris à l'école, facilite les contacts.
Jamie vend ses lames un peu comme une ONG de bienfaisance œuvre dans des pays en crise: pour la cause avant tout. Jamie est juste assez entreprenant pour essaimer la pratique d'une activité à la portée de tous et de presque toutes les bourses. Sans devenir aussi populaire qu'aux Pays-Bas ou en Suède, ce sport a beaucoup de potentiel au Québec. La multiplication des longues patinoires en est le signe.
Après le patin, nous voilà sur nos skis. Le flegmatique Jamie, avec sa bonne humeur contagieuse, troque ses lames pour ses lattes. Nous optons pour la technique du pas de patin, histoire de prolonger au maximum les plaisirs de la glisse. Les descentes s'avalent à tombeaux ouverts. Au fil des kilomètres, le groupe s'égrène selon les forces de chacun. Je me retrouve avec Youri Juteau, qui vient tout juste de terminer (en 2 h 34) les 50 km de la Keskinada à Gatineau et qui a également terminé cinquième au marathon en patins du lac Beauport. Un bel athlète.
Nous skions sur près d'une trentaine de kilomètres pour revenir à L'Estérel, où, au coin d'une table, nous croisons un Jamie sirotant une boisson chaude. Le Vermontois est bien content de sa journée: il a patiné, skié, fraternisé et parlé français. De grands bonheurs tout simples.